Deharme, Lise, Oh ! Violette ou la Politesse des végétaux, illustrations de Leonor Fini, Paris, Losfeld, 1969.

Oh ! Violette ou La Politesse des végétaux : le conte érotique qui déshabille les genres

Par Charles Plet & Daisy Le Corre

(Propos) préliminaires…

Oh ! Violette ou La Politesse des végétaux est un livre écrit par Lise Deharme (pseudonyme d’Anne-Marie Hirtz) et publié aux éditions Eric Losfeld à Paris en 1969, année aussi érotique que le livre lui-même qui avait d’ailleurs été interdit à la vente aux mineurs, à l’exposition en librairie et à la publicité. Pourtant, il ne contient aucun passage pornographique mais, comme le formulait Gabriel Matzneff, « c’est un livre tout en demi-teintes, plein de pages merveilleuses, où la légèreté n’est que la marque de la profondeur1Tanguy L’Amninot, « Rousseau, personnage érotique dans le roman français contemporain. 1980-2000. », dans Rousseau Studies, <http://rousseaustudies.free.fr/articleRousseauerotique.htm> (page consultée le 6 avril 2016). ». Oh ! Violette est un ouvrage qui pourrait s’apparenter à un réservoir de littérature érotique dont la couverture nous aguiche et nous invite à aller plus loin. Tout est mis en place pour donner au livre un côté sensuel qui n’est pas sans rappeler le titre du livre : Oh ! Violette ou La Politesse des végétaux. En effet, on apprend en lisant l’ouvrage que l’héroïne entretient des rapports sensuels et sexuels avec ses végétaux qui l’aguichent.

L’ouvrage comporte 247 pages et possède un format classique de 14 x 21 cm environ. La jaquette est entièrement rose fuchsia et la première de couverture est illustrée par un dessin à la plume de Leonor Fini que l’on retrouve aussi à la page 97. On y entrevoit un couple : il s’agit probablement d’un homme et d’une femme mais l’androgynie du personnage à l’arrière-plan sème le « trouble » dans son genre. On a l’impression d’avoir affaire à un couple siamois : l’un dépend de l’autre, tel un personnage constitué de deux personnes. Cette illustration en couverture s’apparente à une ébauche : les dessins ressemblent à des esquisses et la sensibilité du lecteur se concentre sur le côté évanescent qui émane des personnages illustrés.

Le lecteur est, de fait, intrigué par ce dessin qui occupe une place majeure à gauche de la couverture et qui cohabite avec les différentes polices typographiques utilisées pour le nom de l’auteure, le titre, le sous-titre, le nom de la dessinatrice et le nom de la maison d’édition. La couverture est déjà bien remplie de différents signes et informations avant même qu’on ouvre le livre. On note aussi que les noms des collaborateurs sont inscrits en gras et qu’ils sont de la même taille.

À l’intérieur du livre, on compte huit illustrations de Leonor Fini qui accompagnent le texte de Lise Deharme. Elles ont été réalisées sur du papier fuchsia similaire à la couleur de la jaquette, mais aussi aux folios (numéros de page) et au titre courant de chaque page. Les pages de textes, quant à elles, sont blanches et le texte est noir.

Les illustrations apportent un complément d’information, une touche visuelle à certaines descriptions textuelles de personnages ou de situations, et possèdent ainsi une certaine valeur unificatrice. Il n’y a pas de préface ; en revanche, le livre est dédié à une certaine « Béatrix » (p. 7). Il n’y a pas non plus de quatrième page de couverture.

Lise Deharme et Leonor Fini, histoire d’une collaboration

Ainsi que l’écrit Adèle King dans le Dictionnaire littéraire des femmes de langue française, Lise Deharme était intimement liée au mouvement surréaliste et représente la « dame au gant » dont parle Breton dans Nadja et à qui il fait « une cour […] tour à tour pleine d’espoir et désespérée2André Breton, cité par Marguerite Bonnet, André Breton, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, t. 1, 1988, p. 1503. ». À ce qu’on raconte, Lise Deharme tenait au cours des années 1950 l’un des derniers salons littéraires, dans lequel trônaient des chouettes empaillées et des plantes ténébreuses. Rejetant le monde contemporain, elle met souvent en scène une liberté représentée par des personnages similaires à Violette, à savoir une adolescente qui échappe aux contraintes sociales et qui vit en toute a-moralité (autrement dit, elle agit contre les conventions et les convenances, en toute innocence), son but ultime étant de ne pas s’ennuyer.

Comme le souligne Adèle King, bien que se jouant des tabous avec désinvolture, l’œuvre de Lise Deharme ne s’inscrit pas dans la modernité. Deharme suggère un « Mouvement de libération des fées3Christiane P. Makward et Madeleine Cottenet-Hage (dir.), Dictionnaire littéraire des femmes de langue française : de Marie de France à Marie N’Diaye, Paris, Karthala Editions, 1996, p. 183. ». Elle se considère elle-même comme une fée et cultive continuellement le merveilleux. Dans un entretien publié dans la revue Obliques consacré à « La femme surréaliste », André Pieyre de Mandiargues se souvient du magnétisme de Lise Deharme : « Elle a toujours aimanté l’esprit de ceux qu’elle approchait, chargé de tension les objets ou les lieux qui passaient entre ses mains ou que foulaient ses pieds. Nous sommes encore quelques-uns à savoir que le monde où nous sommes est féerique et à l’aimer pour cela. Mais il fallait que les femmes, dont Lise, en eussent la preuve4André Pieyre de Mandiargues, cité dans Obliques, nos 14-15, 1977, p. 94. ». À noter qu’elle a également été directrice de rédaction de la revue surréaliste Le Phare de Neuilly. C’est à 72 ans que Deharme écrit le roman Oh ! Violette ou La Politesse des végétaux dans lequel la protagoniste s’abandonne sans raisonner outre mesure aux désirs qu’elle fait naître chez ses proches avant de faire l’amour avec des fleurs.

Leonor Fini, quant à elle, est peintre et auteure, née en Argentine. Pendant les six premières années de sa vie, elle est déguisée en garçon quand elle sort pour éviter d’être enlevée par son père. Ainsi que l’explique Agnès de La Beaumelle dans le Dictionnaire universel des créatrices5Béatrice Didier, Antoinette Fouque et Mireille Calle-Gruber (dir.), Le Dictionnaire universel des créatrices, Paris, Des femmes-Antoinette Fouque, 2013. En ligne : <http://www.awarewomenartists.com/artist/leonor-fini/> (page consultée le 6 avril 2016).,

lorsque Léonor Fini rejoint Paris en 1931, son intérêt pour le Surréalisme renforce son penchant pour le merveilleux et l’onirisme. Malgré ses amitiés au sein du groupe surréaliste, c’est en solitaire que Fini va explorer les visions imaginaires que lui dictent ses fantasmes : des sphinges, des femmes éphèbes et des chimères peuplent des scènes où rituel sacré et érotisme se mêlent, dans une atmosphère tour à tour ténébreuse et incandescente, toujours énigmatique. La femme y impose une beauté souveraine et hiératique, quasi maléfique (L’Ange de l’anatomie, 1949) ; la nature n’est que prolifération végétale inquiétante, presque morbide (Sphinx Regina, 1946 ; La Grande Racine, 1948). Son répertoire d’images froides et précises peut se définir globalement par un « réalisme irréel » (Cocteau), excepté la période « minérale » de la fin des années 1950 au cours de laquelle les visions de l’artiste se font floues et transparentes.

Son imagination fantasque, sa prédilection pour la fête et le théâtre l’incitent, dès l’après-guerre, à répondre à de nombreuses commandes de décors et de costumes pour la scène. Elle travaille, entre autres, pour l’Opéra Garnier à Paris et pour la Scala à Milan. Masques et déguisements pour les bals costumés consacrent son rôle d’égérie secrète et extravagante. La peintre illustre également de nombreux livres. Dans les années 1970-1980, l’isolement dans laquelle est tenue sa peinture la pousse de plus en plus à écrire, notamment des contes (Mourmour, conte pour enfants velus, 1976) et des ouvrages sur les chats (Miroir des chats, 1977).

Violette, héroïne érotico-onirique

Dans Oh ! Violette ou la politesse des végétaux, Lise Deharme nous conte les aventures érotico-oniriques de son héroïne qui s’est fait construire une petite maison sur le modèle de la maison habitée par Rousseau à Montmorency, une demeure où elle s’adonne à la volupté. C’est un lieu de calme qui lui permet, après les orgies du château de Mille-Secousses, de se retrouver en compagnie des plantes avec lesquelles elle fait l’amour :

Toutes ces histoires finissaient par l’ennuyer. Elle partit vers sa petite maison Jean-Jacques Rousseau. Les plantes l’accueillirent en s’inclinant devant elle puis elles remontèrent lentement avec des grâces amoureuses. Violette léchait leurs feuilles et les feuilles frissonnaient, elle baisait leurs fleurs. C’étaient des plantes qu’elle ne laissait soigner par personne. La petite maison vibrait d’une ardeur amoureuse. Les plantes étaient d’une politesse suprême; elles frôlaient son corps, les lianes s’enlaçaient sur ce merveilleux tuteur. Il faisait très chaud. Les plantes la déshabillèrent et, très tendres, se posèrent sur sa bouche et ses seins. (Oh ! Violette, p. 89-90)

La figure de Rousseau apparaît dans plusieurs passages. Comme l’explique Tanguy L’Aminot, chez les surréalistes, Rousseau figure parmi l’un des penseurs essentiels de la libération et de l’accomplissement de l’homme. Dans les romans de Lise Deharme, il devient une figure de légende. Le philosophe est pareillement présent dans Le téléphone est mort, un autre roman que Lise Deharme publie chez Losfeld en 1973. Deharme, dont l’œuvre ne cesse d’évoquer la figure du promeneur solitaire, est une « admiratrice de Rousseau6Jean-Louis Bédouin, cité par Tanguy L’Aminot, « Rousseau chez les surréalistes, ou comment le Citoyen de Genève devint impératrice. », dans Rousseau Studies, <http://rousseaustudies.free.fr/articlerousseausurrealiste.html>. ». Les héroïnes de ses livres sont de belles jeunes filles, amantes du plaisir et du rêve, qui promènent leurs charmes à moitié nues parmi les fleurs et la beauté et qui pensent à Rousseau, l’évoquent ou le regrettent7Tanguy L’Aminot, « J. J. Rousseau chez les surréalistes », Revue d’Histoire Littéraire de la France, no 1, 1983, p. 77..

Lise Deharme donne une image surréaliste de Rousseau. Il apparaît comme l’homme de la liberté et du rêve, il est le révolutionnaire et l’homme sensible. C’est « la manière dont il semble avoir accepté l’inacceptable condition humaine8André Breton, Les Pas perdus, dans Œuvres complètes, Paris, Gallimard, t. 1, 1949, p. 265. » qui les charme. Les surréalistes perçoivent Rousseau d’une façon globale, comme l’exprimait Delteil9Tanguy L’Aminot, « Rousseau chez les surréalistes, ou comment le Citoyen de Genève devint impératrice. », loc. cit..

L’autre thème surréaliste présent dans Oh ! Violette est celui de l’a-moralité des personnages. Si ceux-ci savent que leurs nombreux ébats sexuels (y compris de Violette avec son frère, son père, sa femme de chambre, et à peu près tous les hommes du roman) peuvent choquer les âmes bourgeoises, ils réfutent les principes moraux basés sur le religieux, rejettent les tabous liés à l’inceste et pratiquent le viol (littéralement inscrit dans le prénom de la protagoniste : Violette) sans y voir le mal. Les catégories du bien et du mal sont donc mises de côté au profit de la seule notion qui, selon de nombreux surréalistes, peut organiser la société et régir le comportement humain : la liberté de comportement, de mœurs, de paroles et d’actes. C’est en soi la liberté totale qui est recherchée par Violette, une recherche des plaisirs sans limites imposées, toute limite étant une négation du principe même de liberté. À ce propos, Violette est souvent décrite par la voix narrative comme « ondulante », voire « ondulante comme un serpent qui danse ». Outre la référence à Baudelaire (il y a dans le roman plusieurs références non seulement à des surréalistes comme Breton, mais à d’autres romanciers comme Balzac et Baudelaire, entre autres), on peut rappeler qu’à un moment Violette dit : « J’aime faire ce que je veux de mes membres, en long en large et en travers ». Il semblerait que cette « ondulation » du corps a intimement à voir avec la liberté totale que l’héroïne veut exercer sur et avec son corps. C’est un corps sans tabou et sans restriction, un corps totalement libre et ouvert, sans aucune importance sociale ou « mystique », qui est prônée par Violette. Il est d’ailleurs légitime de se demander jusqu’où le Mouvement de libération des femmes (MLF) de 1968 a influencé l’écriture de ce roman.

La notion de l’amour fou est également convoquée dans le roman. Le titre du livre lui-même est intéressant en ce qu’il évoque une sorte de parole de jouissance formulée par les hommes et les femmes avec lesquels Violette fait l’amour. À de nombreuses reprises, les personnages (dont Odet) s’écrient « Violette ! » ou « ô (oh) Violette ! » lors de leurs ébats et même, parfois, lorsque Violette n’est pas présente. Par ailleurs, ce « oh ! Violette » est parfois écrit comme un « ô Violette », à savoir comme une particule vocative employée pour s’adresser à une divinité, ce qui, manifestement, rejoint la thématique de l’amour fou. De surcroît, un certain nombre de personnages du roman sont amoureux fous ou presque de Violette : son frère, Nicholas; Rosa, sa femme de chambre; le jeune homme riche (qui va jusqu’à la (pour)suivre en voiture); et bien sûr Odet, qui est lui-même le cousin de Violette de Lazagnon. Le personnage d’Odet est intéressant en ce qu’il est souvent appelé par Violette elle-même « Le Prince charmant », ce qui nous amène nécessairement à parler d’un autre thème majeur dans Oh ! Violette : le merveilleux. Le roman s’apparente de fait à un conte de fées remanié (rappelons que Deharme disait qu’elle appartenait au M.L.F : le Mouvement de libération des fées). On peut y apercevoir diverses figures d’animaux (le chat de la famille, Merlin, repris du personnage légendaire de Merlin l’Enchanteur) ou de végétaux qui parlent à Violette car elle est la seule qui puisse les comprendre ; elle est la seule qui écoute réellement le langage des végétaux et de la faune. Par ailleurs, on comprend aisément que l’histoire de Oh ! Violette est une « absorption et transformation10Julia Kristeva, « Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman », Critique, no 239, avril 1967. » d’un autre texte, soit La Belle au Bois dormant de Charles Perrault (et de Grimm). Dans cette histoire, la princesse est en fait la comtesse Violette et elle aussi est réveillée par son « Prince Charmant » Odet. Comme dans le conte, le château et tous ses habitants ont été endormis pendant deux années (au lieu de cent ans) et la végétation (autre thème omniprésent dans le roman Oh ! Violette) recouvre également une partie des chambres. Une analyse plus approfondie serait sans doute intéressante pour comprendre davantage le personnage de Violette dans la transformation qu’en a faite Lise Deharme : pour ne citer qu’un exemple, on pourrait dire qu’à la passivité et à la patience accordée à la princesse par Perrault répond la violence du personnage de Violette, qui domine tous les hommes de son monde.

Un dernier thème surréaliste serait le rêve dont est empreint le récit de Lise Deharme : à un moment, Violette rêve qu’elle retourne à Mille-Secousses et qu’elle y voit Odet et Rosa faire l’amour dans sa chambre. Elle se réveille et se rend compte que ce n’est qu’un rêve ; prémonitoire, cependant, puisque la scène rêvée va effectivement se passer de manière presque identique, non pas dans le château, mais dans la maison végétale, lieu idéal de la protagoniste.

Textes et images sans discordances

D’une manière générale, les illustrations dans le roman de Lise Deharme fonctionnent soit en concordance directe avec le texte des pages qui les précèdent ou les suivent, ou n’ont pas de rapport direct avec ceux-ci, quand bien même ces illustrations n’agissent pas « en discordance » avec les texte eux-mêmes. Les illustrations ne côtoient jamais le texte sur une même page, mais sont plutôt placées sur la page de droite, la « belle page ». Six illustrations sur huit représentent Violette seule sur la page. Les illustrations sont, d’ailleurs, toutes de même nature : fugaces, rapides et incomplètes. Le verso de la page illustrée est toujours vierge, entièrement blanc, ce qui accentue encore l’importance de la page illustrée.

Tous les personnages représentés sont nus et les dessins montrent au lecteur une Violette telle qu’elle est décrite dans les parties textuelles : mince, fine, avec de très longues jambes, toujours nue même lorsqu’elle a des vêtements (car ils sont très souvent transparents : rien n’est suggéré, tout est donné à voir). Le côté androgyne des personnages est manifeste : dans le roman, les hommes sont féminins et les femmes, masculines. Ainsi, l’illustration de la couverture, qu’on retrouve ailleurs dans le roman, est volontairement ambiguë et laisse à penser que ces deux personnages (Violette et Odet) ne font qu’un.

Les illustrations sont représentées un peu comme des croquis de mode semblables à ceux qu’aurait pu réaliser Yves Saint-Laurent – notamment avec la représentation de jambes aux longueurs disproportionnées ; les illustrations viennent donc renforcer la tonalité érotique du texte et concordent parfaitement avec la teinte fuchsia du livre. Notons au passage que le nom d’Yves Saint-Laurent est mentionné à la page 219.

On remarque que les huit illustrations semblent mettre en scène Violette sous différents angles, comme une suite de métamorphoses du personnage. Elle est parfois seule ou accompagnée de divers partenaires, souvent ses amants – son père ou son frère. Par ailleurs, les images ne sont pas sans rappeler l’une des spécificités du personnage principal du roman : sa constante métamorphose et son inconstance amoureuse. Violette (ou du moins ses illustrations) mute au rythme de ses changements de partenaires. Les différentes illustrations de Violette reflètent ses descriptions textuelles et sa sexualité multiple, tel un mouvement permanent. Cela n’est d’ailleurs pas sans rappeler l’idée d’« union libre », chère à Breton et à laquelle il a consacré un poème éponyme. L’union libre est, on le sait, un thème surréaliste majeur en tant que mode de vie contestataire qui s’oppose au mariage bourgeois. Il renvoie à l’émergence d’une sexualité libérée des tabous traditionnels et Violette en est la parfaite illustration.

Si l’on s’intéresse plus précisément à l’illustration à la page 81, on remarque que le regard de Violette est en proie à une certaine noirceur. La jeune femme est agenouillée sur ce qui semble être un homme dont on ne voit que la tête. Un sentiment de peur et une violence certaine se dégagent de cette scène qui s’apparente à celle d’un étouffement. On comprend grâce au texte qu’elle concorde avec la scène sexuelle décrite sur la page de gauche : Marco, un homme amoureux fou de Violette, la viole alors qu’elle est venue pour le cravacher parce qu’il ne lui a pas donné de nouvelles. Le personnage à l’horizontale semble à l’agonie ou aux portes de la « petite mort ». On a l’impression d’assister au mariage d’Éros et de Thanatos. Dans le texte, on retrouve un vocabulaire qui coïncide avec la scène illustrée : « Tu fais l’amour avec une suprême violence » ; « Marco haletait » ; « après s’être donné un coup de peigne » (p. 80 ; on se demande si, sur le dessin, elle tient encore le peigne dans sa main ou alors si c’est un couteau).

La position de dominatrice présente dans la partie textuelle transparaît aussi dans l’illustration où la protagoniste est assise à califourchon sur l’homme. Si Violette ne sourit jamais dans les illustrations (alors qu’elle sourit à plusieurs reprises dans le roman), ici on comprend aisément qu’elle « était plus glacée que son double et [que] rien ne pouvait la réchauffer » (p. 80). La position dominante qu’elle a (elle regarde bien en face l’homme alors qu’elle ne regarde presque jamais en face ni le lecteur ni l’homme qui la tient dans ses bras dans les autres illustrations) en dit beaucoup sur le personnage. Cette illustration est la seule où il est difficilement possible de savoir si Violette est entièrement nue ou pas (alors que le lecteur s’attendrait à ce qu’elle le soit puisqu’elle est censée être en train de faire l’amour). Dans le dessin à l’étude, le nom de « Violette » prend tout son sens, car elle se fait violer par Marco. Violette semble prendre le contrôle et se mélange à l’autre personnage dessiné sous elle. Le dessin mêle les corps des deux personnages qui ont l’air de flotter sur la page. Le trait du dessin donne à l’illustration un aspect évanescent : on s’attend presque à ce que les personnages s’animent comme dans un dessin animé. L’illustration de Leonor Fini suit d’assez près le texte de Deharme. Notons aussi que c’est la seule illustration où il semble y avoir la signature de l’artiste.

Oh ! Violette est une œuvre hybride à laquelle ont participé l’écrivaine Lise Deharme et la peintre-dessinatrice Leonor Fini. Livre surréaliste en ce qu’il se situe dans le domaine de la littérature, il n’est pas issu du milieu artistique (contrairement au livre d’artiste). Réalisée à quatre mains, la facture de l’œuvre reste tout de même assez traditionnelle. Même si Oh ! Violette n’est a priori pas un roman illustré a posteriori, il est néanmoins tout à fait possible de comprendre l’œuvre de Deharme grâce au texte seul. Si les illustrations de Leonor Fini apportent un petit plus au texte, elles fonctionnent rarement seules. Ce travail collaboratif entre Deharme et Fini porte à croire que, lorsqu’il s’agit d’un roman, il est difficile de prétendre à une égalité parfaite entre un(e) écrivain(e) et un(e) artiste visuel(le) quant à la réception de l’œuvre.

Références bibliographiques

Corpus primaire

  • Deharme, Lise, Oh ! Violette ou la Politesse des végétaux, illustrations de Leonor Fini, Paris, Éric Losfeld, 1969.

Ouvrages et articles critiques

  • « Lise Deharme », Les Cahiers Bleus, nº 19, automne-hiver 1980.
  • Barnet, Marie-Claire, La femme cent sexes ou les genres communicants. Deharme, Mansour, Prassinos, Berne, Éditions Peter Lang, 1998.
  • Benayoun, Robert, Érotique du surréalisme, Paris, Pauvert, 1965.
  • Clébert, Jean-Paul, Dictionnaire du surréalisme, Paris, Seuil, 1996.
  • Cortanze, Gérard de, Le monde du surréalisme, Paris, Éditions Complexe, 1985.
  • Didier, Béatrice, Antoinette Fouque et Mireille Calle-Gruber (dir.), Le Dictionnaire universel des créatrices, Paris, Des femmes- Antoinette Fouque, 2013.
  • Makward, Christiane P., Madeleine Cottenet-Hage, Dictionnaire littéraire des femmes de langue française: de Marie de France à Marie NDiaye, Karthala Editions, 1996.
  • Oberhuber, Andrea, « Claude Cahun, Marcel Moore, Lise Deharme and the Surrealist Book », History of Photography, vol. 31, no 1, 2007, p. 40-56.
  • Oberhuber, Andrea, « The surrealist book as a cross-border space : The experimentations of Lise Deharme and Gisèle Prassinos », Image & Narrative, vol. 12, no 3, 2011. En ligne : <http://www.imageandnarrative.be/index.php/imagenarrative/article/view/163/129> (page consultée le 3 avril 2016).